2022-06-02 14:54:33
Gémir n'est pas de mise, aux Marquises
J'aurai 48 ans dans quelques mois.
Quand j'en avais un peu plus de 20 je me suis envolé pour Nuku Hiva. La plus grande île des Marquises.
Les îles de Brel et de Gauguin.
Je ne me souviens plus exactement pour quoi y foutre.
J'y ai passé quelques mois à vivre des journées insolites impossibles à raconter.
Précisément celles que l'on préfère raconter.
J'ai même failli y être tué. (Je vous raconterai ...)
Mais de toutes ces journées, celle qui visite le plus souvent mes souvenirs, fut une journée de rêveries, de non-faire et de contemplations absolues.
Que rien, même le passage du temps, n'a pu perturber.
Elle fut d'ailleurs si parfaite, qu'elle n'est encore jamais repartie.
Parfois, le cerveau, dégouté par la chaleur, s'élève jusqu'à sa plus haute activité :
Laissez le monde tourner sans lui.
Dans la dernière maisonnette de la baie de Taihoae, je me souviens m'être tardivement extrait de ma première rêverie matinale pour aller m'assoir sur un banc, en surplomb de la plage, rejoindre un gars qui avait commencé sa non journée avant moi.
Fermement résolu, lui aussi, à attendre que le temps passe.
Bientôt, 2 autres allaient venir nous épauler dans cette non tâche.
De cette journée, ou assis avec 3 natifs de l'île, je regardai pousser les banyans en écoutant l'éternel ukulélé de la radio locale, je jure devant les dieux et ma douce maman, n'avoir strictement rien foutu de mes 10 doigts.
Rien monsieur le juge. Même le néant a cru y voir son reflet.
C'est en ne foutant rien qu'on voit parfois les évènements les plus incroyables venir nous distraire.
Comme si les dieux prenaient notre langueur pour une offrande, et nous gratifiaient d'un spectacle improbable.
Improbable comme ce régiment de fitness girl américaines débarquant vers midi d'un Yatch sur la plage en contrebas, pour y faire 40 minutes de step, sous une chaleur à vous casser un panneaux solaire.
C'est simple, à midi, le soleil des Marquises tue tout ce qui n'a pas trouvé d'ombre.
Même la photosynthèse est en panne.
Ce qui était tout à fait étonnant dans ces deux scènes si antagonistes, c'est la complicité dans l'indifférence qui unissaient les 4 branleurs de l'absolu que nous étions.
Chacun d'entre nous était comme un personnage de film, infiniment absorbé par le fait de n'en avoir rien à foutre.
Visage de bois.
Regards dans le vague.
Désintérêt infini.
Et régiment de fitness girl par 40 à l'ombre sur la plage.
La classe marquisienne.
Mais ce n'était que le début.
Quelque chose d'encore plus drôle allait bientôt se produire.
Sur le coup des 16h, Radio Marquises (je ne me souviens plus du nom réel de la radio), allait s'arrêter net.
Plus de ukulélé.
Ces airs tous semblables, berçant le quotidien, fait d'aigüs qui se bousculent et s'entrechoquent sans grâce, mais sans lourdeur, avaient enfin laissé la place au silence relatif, fait du vrombissement des mouches locales.
Ukulélé : incessante bande son locale, sans laquelle les habitants redeviennent d'inquiétants colosses au visage de poupon.
Mais le silence n'a pas durée plus de 5 longues minutes :
5 minutes pendant lesquelles j'ai finis par penser que mes 3 compères venaient de réaliser ... qu'ils pouvaient parfaitement survivre sans cette musique de merde.
Soudain l'un d'eux, le plus maigre, s'est levé, et a lentement marché vers la cabane qui se trouvait à une centaine de mètres devant nous ; enfoncée dans la forêt de manguier qui nous entourait.
Nous le regardâmes entrer, se pencher pour faire je ne sais quoi, puis ressortir calmement et refermer la porte.
La musique de ce paradis relatif repris aussitôt, sans que je sache si j'entendais ce morceau pour la première ou pour la millième fois.
Mon cerveau fit un tour sur lui même, et réalisa sobrement : Radio Marquises, c'était la cabane en bois là juste devant ... et le DJ : c'était ce mec. Clochard céleste. Témoin des mouches.
Un dernier évènement allait finir de rythmer cette journée au pays du temps qui s'endort.
Un évènement fou. Au delà des mots.
140 viewsExcellsium W, edited 11:54