La disparition progressive des temps (subjonctif, passĂ© simple | đšđ” AnaĂŻs Lefaucheux đšđ”
La disparition progressive des temps (subjonctif, passĂ© simple, imparfait, formes composĂ©es du futur, participe passĂ©âŠ) donne lieu Ă une pensĂ©e au prĂ©sent, limitĂ©e Ă lâinstant, incapable de projections dans le temps.
La gĂ©nĂ©ralisation du tutoiement, la disparition des majuscules et de la ponctuation sont autant de coups mortels portĂ©s Ă la subtilitĂ© de lâexpression.
Supprimer le mot «mademoiselle» est non seulement renoncer Ă lâesthĂ©tique dâun mot, mais Ă©galement promouvoir lâidĂ©e quâentre une petite fille et une femme il nây a rien.
Moins de mots et moins de verbes conjuguĂ©s câest moins de capacitĂ©s Ă exprimer les Ă©motions et moins de possibilitĂ© dâĂ©laborer une pensĂ©e.
Des Ă©tudes ont montrĂ© quâune partie de la violence dans la sphĂšre publique et privĂ©e provient directement de lâincapacitĂ© Ă mettre des mots sur les Ă©motions.
Sans mot pour construire un raisonnement, la pensée complexe chÚre à Edgar Morin est entravée, rendue impossible.
Plus le langage est pauvre, moins la pensée existe.
Lâhistoire est riche dâexemples et les Ă©crits sont nombreux de Georges Orwell dans 1984 Ă Ray Bradbury dans Fahrenheit 451 qui ont relatĂ© comment les dictatures de toutes obĂ©diences entravaient la pensĂ©e en rĂ©duisant et tordant le nombre et le sens des mots.
Il nây a pas de pensĂ©e critique sans pensĂ©e. Et il nây a pas de pensĂ©e sans mots.
Comment construire une pensĂ©e hypothĂ©tico-dĂ©ductive sans maĂźtrise du conditionnel? Comment envisager lâavenir sans conjugaison au futur? Comment apprĂ©hender une temporalitĂ©, une succession dâĂ©lĂ©ments dans le temps, quâils soient passĂ©s ou Ă venir, ainsi que leur durĂ©e relative, sans une langue qui fait la diffĂ©rence entre ce qui aurait pu ĂȘtre, ce qui a Ă©tĂ©, ce qui est, ce qui pourrait advenir, et ce qui sera aprĂšs que ce qui pourrait advenir soit advenu? Si un cri de ralliement devait se faire entendre aujourdâhui, ce serait celui, adressĂ© aux parents et aux enseignants: faites parler, lire et Ă©crire vos enfants, vos Ă©lĂšves, vos Ă©tudiants.
Enseignez et pratiquez la langue dans ses formes les plus variĂ©es, mĂȘme si elle semble compliquĂ©e, surtout si elle est compliquĂ©e. Parce que dans cet effort se trouve la libertĂ©. Ceux qui expliquent Ă longueur de temps quâil faut simplifier lâorthographe, purger la langue de ses «dĂ©fauts», abolir les genres, les temps, les nuances, tout ce qui crĂ©e de la complexitĂ© sont les fossoyeurs de lâesprit humain. Il nâest pas de libertĂ© sans exigences. Il nâest pas de beautĂ© sans la pensĂ©e de la beautĂ©.
Christophe Clavé.